La responsabilité des chrétiens devant la réforme des lois de bioéthique
« Le meilleur des débats qui s’annoncent ne sera pas dans la définition du permis et du défendu pour “ faire naître de l’homme ”, mais dans la manière de “ devenir homme ” et selon quel modèle ? »
Tribune du Père Laurent Stalla-Bourdillon parue dans La Croix,
le 19 novembre 2018
A la lecture du texte de Martin Stephens, « L’impossible opposition des chrétiens à la révision de la loi bioéthique », le 5 novembre 2018, quelque chose me heurtait sans que je puisse immédiatement en cerner la raison. A son défaitisme s’ajoutait la contradiction abusive entre le fait d’interroger des pratiques procréatives et l’accueil inconditionnel de tous les enfants qui en sont issus. En effet, la question n’est pas de savoir si, le combat étant perdu, nous serons capables demain d’accueillir au nom de l’Évangile, ces enfants nés des techniques de la biologie reproductive… On ne se consolera pas avec de telles évidences. La question reste de savoir si sommes-nous assez lucides aujourd’hui pour éclairer hic et nunc une société qui s’empoisonne ? Ce n’est pas pour « nous » que nous devons nous battre, c’est pour eux, pour ceux qui ne connaissent pas la promesse liée à l’existence qu’ils ont reçue et qui demain auront encore moins de chance de la connaître ! Il en va de la responsabilité d’offrir une parole, offrant un sens suffisamment puissant sur la vie pour contenir les folles transgressions que rendent possibles les techniques sur le vivant.
Six ans à peine après la contestation massive du mariage de personnes de même sexe, une capitulation anticipée face à la volonté politique majoritaire de réécrire le droit de la filiation, semble pour certains une sage option. D’ailleurs, la foi chrétienne n’assure-t-elle pas la beauté d’une Origine qui dépasse les modalités de notre commencement ? « Après tout… A quoi bon … et de toute façon, Dieu nous assume et nous aime. Nos errances ne sont-elles pas le lieu de la rencontre de sa miséricorde ? » Pour consolante que soit cette vision des choses, elle ratifie la totale soumission de la société aux revendications catégorielles. Or, la mission des baptisés ne consiste-t-elle pas justement à oser un optimisme de la raison face à la foi technologique ? L’Esprit-Saint trouve dans l’esprit de chaque personne son lieu d’action de prédilection. La résignation de Martin Stephens enjambe la réalité du débat parlementaire à venir. Il faut redire qu’il n’y a de lois de bioéthiques, qu’issues des travaux du Parlement. Les institutions républicaines souffrent et si le pilonnage médiatique finit par façonner des options dans toutes les consciences, les députés et les sénateurs doivent retrouver toute l’estime de l’opinion publique, afin de prendre la mesure de leur responsabilité. C’est parce que nous négligeons la valeur de leur liberté de conscience, que nous refusons de voir les pressions qu’ils endurent dans l’arène politique, économique et médiatique. Les idéologies se nourrissent toujours du renoncement des consciences. La gnose technoscientifique avance sur le tapis rouge de notre mutisme face à la puissance de son expression médiatique. Les chantres d’un avenir technicisé font oublier que tout passe encore par le travail du législateur. C’est vers lui qu’il faut se tourner, c’est en lui que l’action de l’Esprit dans les âmes peut dévoiler avec douceur la splendeur de la vérité. La fierté ne se trouve pas dans la victoire contre un autre, mais dans la vaillance avec laquelle nous aurons plaidé, et été trouvés lorsqu’il nous sera demandé ce que nous avons fait des talents qui nous furent confiés pour les autres.
Comme chacun de nous, tous les enfants qui naitront demain in vitro ou in utero, quitteront cette terre après quelques décennies de vie. En ce monde, nul ne reste. C’est donc que l’enjeu de l’existence est ailleurs. Il est en chaque homme, en chaque femme ! Or, la clé d’interprétation de la vie se trouve aussi dans la manière dont nous fûmes conçus. Pour les chrétiens, l’enfant Jésus a puisé dans le cœur de sa mère, la force d’âme de livrer sa vie jusqu’au bout par amour. Elle sut lui apprendre qu’il était « don de Dieu » pour être « don de Dieu aux hommes », et donc que tout enfant est et devient don de Dieu, pour la gloire de Dieu et non pour celle de l’homme ! La foi de l’Eglise dévoile l’aptitude de chacun à répondre avec confiance à l’action de l’Esprit-Saint, qui seul, réalise notre perfection. La vie humaine n’est pas finalisée par l’attention affectueuse des parents ou par la bienveillance de la société, mais par l’union de l’Esprit-Saint à l’esprit de l’homme, d’où jaillit la conscience de la fraternité humaine. Sans l’acquisition du Saint-Esprit, la foi chrétienne est amputée de sa fine pointe.
Le meilleur des débats qui s’annoncent ne sera pas dans la définition du permis et du défendu pour « faire naître de l’homme », mais dans la manière de « devenir homme » et selon quel modèle ? Cela suppose une capacité de dialogue, une recherche commune par la raison, de la vérité. Le dialogue mène à la sagesse et la promeut. La Sagesse parle dans ses œuvres au premier rang desquelles, la création de l’homme et de la femme, la différence des corps sexués. Devant l’incohérence de ses contemporains, le Christ rappelle que « par tous ses enfants, la sagesse de Dieu a été reconnue juste. » Lc 7,35
P. Laurent Stalla-Bourdillon
Directeur du Service Diocésain pour les Professionnels de l’Information
Source : La Croix